INTERVIEWS
Interview Février 2020
Quelques mois après sa sortie, quel bilan tires-tu des Mains pleines de lumières ?
Un bilan très positif. Le livre a été bien accueilli, malgré sa complexité les gens ont bien appréhendé l’esprit du roman. Beaucoup des lecteurs n’étaient pas férus de science-fiction, mais se sont laissés prendre au jeu. Certains m’ont dit que ce livre leur avait redonné goût à la lecture, qu’ils lisaient pendant les pauses au travail, que ça les aidait à s’évader du quotidien… C’est dans ces moments-là que je comprends l’importance réelle de ce que je fais. J’ai aussi énormément appris, notamment sur les techniques d’écriture, la prépondérance des personnages, sur les ficelles pour créer une atmosphère adéquate.
"On ne peut pas devenir un bon auteur en étant porté par des rêves purement mercantiles..."Est-ce que ton point de vue sur l’autoédition a lui aussi évolué ?Oui, à ce niveau-là le constat est clairement moins positif. J’ai remarqué que la majorité des auteurs autoédités écrivaient des romans très aseptisés. Beaucoup font passer l’aspect marketing avant leur vision artistique et ça ne donne rien d’intéressant à l’arrivée. Ces bouquins-là renforcent les préjugés qu’ont les gens sur l’autoédition, qu’il s’agit d’une sous-littérature, d’un réservoir d’auteurs dont l’édition traditionnelle n’a pas voulu. C’est étrange d’être tout à coup entouré d’auteurs obsédés par les succès de J. K. Rowling ou de Stephen King. On ne peut pas devenir un bon auteur en étant porté par des rêves purement mercantiles. Ça ne mène nulle part.Stephen King, c’est tout de même pas mal non ?Moi j’aime bien, surtout Shining ou Dead Zone. Ce n’est pas pour autant que mon ambition est de devenir le nouveau Stephen King, ça n’aurait aucun sens."Je ressentais le besoin de m’attaquer à la société tout entière..."Pour en venir à ton nouveau roman, Psychodrome a un ton humoristique, un peu décalé qui rappelle parfois celui de Spinrad par exemple…Oui ou bien certaines histoires loufoques de Lem, Sheckley ou Sladek. Je voulais un ton différent du précédent, quelque chose d’à la fois sarcastique et grinçant. Je ressentais le besoin de m’attaquer à la société tout entière : les classes moyennes, le système carcéral, le voyeurisme télévisuel… et tout ceci avec légèreté.Il y a tout de même des passages très violents, tu ne peux décidément pas t’en empêcher.
C’est peut-être les parties que je prends le plus de plaisir à écrire. J’aimerais tellement qu’au milieu d’une comédie de Woody Allen un des types se fasse fracasser le crâne à coups de batte de baseball… ça serait véritablement inventif.Tu ne lis pas d’auteurs français ?Si bien sûr : Douay, Houssin, Pelot… En dehors de la science-fiction, j’aime beaucoup Virginie Despentes, elle est d’une intelligence impressionnante. L’écrivain français pour lequel j’ai le plus d’admiration est Jean-Pierre Andrevon, j’ai énormément appris grâce à lui. « Un Combattant modèle », par exemple, est une nouvelle absolument incroyable sur le conditionnement et la propagande militaire. Je place Andrevon au même niveau que les Dick, Le Guin ou Ballard.Louie Zenher est un véritable passionné de free jazz, le livre est assez pointu sur le sujet. Es-tu toi aussi amateur de ce genre musical ?Oui, pas seulement le free jazz, mais le jazz des années 60 en général : le bebop, hard bop, etc… Les recherches musicales que j’ai faites m’ont aidé à structurer le personnage de Zenher. Ce qu’il écoutait faisait partie intégrante de son identité, au même titre que ses tenues vestimentaires ou son métier de psychologue. Tous ces aspects rendaient d’emblée le personnage attachant. Dans Les mains pleines de lumière, j’avais volontairement pris le risque de faire d’Artiom un protagoniste ambigu, à la fois passif et déboussolé ; cette fois-ci je voulais que Zenher ait une personnalité bien affirmée et touchante.Afin de mieux faire passer ses idées ?
Exactement. Il fallait convaincre les gens, qu’ils comprennent qu’il y a en Zenher une vérité qu’ils doivent entendre, que ce qu’il dit de nous et de la société dans laquelle nous vivons est à prendre en compte si nous voulons nous en sortir un jour.L’aspect politique est d’ailleurs présent tout le long du roman, Zenher défend des points de vue assez radicaux. Tu n’as pas peur de desservir l’histoire en y introduisant des passages idéologiques ?Non, le tout est de ne pas faire de ton récit un simple prétexte pour déverser tes conceptions politiques. Cette science-fiction très politisé a existé en France après mai 68, il y a eu du bon et du moins bon, mais ce genre-là a fini par disparaître. Dans Psychodrome, j’ai pris soin de bâtir une vraie logique, une vraie structure. Si on lui enlève sa dimension engagée, le roman perd l’essentiel de ce sur quoi il a été construit et réfléchi.Comment expliquer qu’il y ait tant de différence entre ces deux romans qui sortent pourtant à seulement quelques mois d’intervalle ?J’ai voulu prendre les gens à contre-pied en leur montrant que je n’étais pas juste capable de faire de la littérature glauque ou dépressive. J’avais envie d’un personnage lumineux comme Louie Zenher, je crois que l’on a besoin de rêveurs dans son genre.Un nouveau roman en préparation ?Oui, quelque chose d’assez glaçant, dont les éléments sont tirés d’une histoire absolument effarante vécue par un ami. C’est une idée que je traîne depuis longtemps sans oser m’y attaquer. Je suis actuellement en plein dedans, j’espère que le roman sera disponible d’ici octobre 2020.