INTERVIEWS
Interview Novembre 2020
Peux-tu nous parler de Magma ? Apparemment le roman est inspiré d’une histoire vraie…
C’est effectivement basé sur ce qu’a vécu un ami en 2012 à Los Angeles lorsqu’il avait 17 ans. Une femme l’a pris sous son aile en lui faisant miroiter des débouchés dans le milieu de la musique. Elle lui a fait ingérer des drogues, puis voir un hypnothérapeute. Elle a fini par le mettre dans une pièce pour lui faire écouter des enregistrements horribles. Au bout de quelques jours, il a fini par perdre le sens des réalités et a été conduit aux urgences psychiatriques de l’UCLA Psychiatric Emergency. Plus tard, ils l’ont transféré à l’hôpital psychiatrique Del Amo, puis rapatrié en France à l’asile de Sainte-Anne. Lorsqu’il m’a raconté son histoire, j’ai pensé que ça pourrait faire un bon roman, mais j’ai laissé l’idée de côté pendant plusieurs années, je trouvais trop contraignant d’avoir à me baser sur une histoire vraie. Finalement j’ai pris pas mal de liberté avec les faits réels, je n’ai suivi que les grandes lignes de son témoignage. J’y ai ajouté des événements surnaturels purement fictifs. Cet ami a pu rencontrer Catherine Picard de l’UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) et lui fournir son témoignage. Elle lui a affirmé qu’aussi invraisemblable que cela puisse paraître, ce genre d’événement était plutôt courant aux États-Unis. Des « recruteurs » insufflent de faux souvenirs induits par le biais de l’hypnose ainsi que de profonds complexes afin que leurs victimes se sentent perturbées. Le but est qu’elles finissent par couper les ponts avec leur famille pour trouver du réconfort au sein d’une organisation sectaire.

Même si je n’y crois pas, l’idée d’aborder les mots et les sons sous un angle médical et autodestructeur me semblait intéressante. Le personnage de Yoni conçoit sa musique comme quelque chose de scientifique et désincarné. À aucun moment il ne cherche à séduire un public ou à entrer dans une logique d’échange entre artiste et auditeur. Ce qui le motive, c’est uniquement de parvenir à manipuler les habitants de la résidence.
Sa mère, Deborah Sapoznik est un personnage central de Magma. Avec elle, nous sommes loin d’un personnage amusant et attachant comme l’était Louis Zenher dans Psychodrome.
Faire de Deborah Sapoznik un personnage touchant était un vrai challenge. Elle a une personnalité austère, un tempérament froid. Mais je pense qu’après avoir lu le roman, les gens se seront pris d’affection pour elle. Deborah Sapoznik, c’est pour moi la vraie réussite de ce livre. L’idée qu’il faudrait forcément que les personnages principaux soient « attachants » pour que l’histoire fonctionne, c’est un poncif commercial. Cela mène les auteurs à pondre des héros très stéréotypés. Je n’apprécie pas un roman sur ces critères-là. Ce qui m’intéresse, c’est l’originalité de l’œuvre, son style, la pertinence du message, le reste est secondaire.
"L’idée qu’il faudrait forcément que les personnages principaux soient « attachants » pour que l’histoire fonctionne, c’est un poncif commercial."
Le roman est particulièrement précis sur le sujet de la peinture, avais-tu des connaissances dans ce domaine avant d’en entamer l’écriture ?
Non, je n’y connaissais pas grand-chose. Je me suis surtout plongé dans l’expressionnisme abstrait et les tableaux de Jackson Pollock. Je tenais à ce que Magma soit pointu sur la peinture et les technologies musicales. La crédibilité du personnage de Deborah Sapoznik dépendait en grande partie de la manière dont j’allais parler de sa carrière artistique.
Il paraît que Magma devait être un roman plus long et qu’il a finalement été amputé d’un tiers de son contenu. Pourquoi ?
À la réécriture, on est toujours confronté à ce genre de dilemme. J’ai en fin de compte décidé de me débarrasser d’absolument tout le superflu pour resserrer le récit. J’aime que mes romans soient vifs, directs, qu’ils se lisent avec facilité. Je tiens à ce que les gens ne s’ennuient pas pendant leur lecture. Beaucoup de romans, notamment dans la SF, ralentissent inutilement la narration et mériteraient d’être raccourcis. Il faut néanmoins faire attention à ne pas aller trop loin dans ce processus, une histoire trop resserrée perd son rythme et ça se ressent.

Comme disait Spinrad : « La science-fiction c’est l’ensemble de ce qui est publié sous l’appellation science-fiction ». Même si le roman flirte volontiers avec l’horreur et le fantastique, les passages sur la psynésie, les technologies musicales et la maladie mentale restent proches de l’univers science-fictionnel. Je n’ai jamais vu la SF comme un genre spécifiquement restreint à la hard SF, au cyberpunk ou au space opera. C’est un mouvement littéraire beaucoup plus vaste que ce que croient la plupart des gens. Presque tous les romans de Ballard pourraient être classés en littérature générale, alors que pour moi Ballard est l’auteur de SF par excellence.
Il y avait tout de même dans Les mains pleines de lumière et Psychodrome quelque chose de plus « traditionnellement » SF, avec un environnement post-apocalyptique ou le thème du voyage dans le temps et des paradoxes temporels…
Psychodrome est un roman plus classique que Magma à tout point de vue. Même s’il y avait des idées novatrices, ça restait une œuvre plutôt facile d’accès. Avec Magma, j’ai pris le risque de pousser plus loin l’expérimentation, de rendre les personnages beaucoup plus ambigus. La structure est moins conventionnelle et le développement du récit plus avant-gardiste. C’est certainement pour cette raison que Magma m’a demandé un important travail de réécriture. En comparaison Psychodrome a été une véritable balade de santé.
"Trop d’écrivains choisissent de développer leurs intrigues aux États-Unis. L’hégémonie de la culture anglo-saxonne me gêne…"
Aucun de tes romans ne se déroule dans une période ou dans un lieu précis, comme si tu souhaitais laisser le lecteur libre de se faire sa propre idée sur le contexte spatio-temporel de tes œuvres.
Depuis mon premier roman, j’ai voulu éviter que mes lecteurs situent mes personnages dans un pays existant. Pour Magma, j’aurais pu par exemple faire en sorte que l’action se déroule à Los Angeles puisque la véritable histoire dont je me suis inspiré se déroulait là-bas ; mais trop d’écrivains choisissent de développer leurs intrigues aux États-Unis. L’hégémonie de la culture anglo-saxonne me gêne… En ce qui concerne la temporalité, je me contente généralement de situer ma narration dans un futur proche.

La Nouvelle Mahogany est une nation fictive C’est une terre anciennement peuplée d’autochtones réduits aujourd’hui à l’invisibilité. Un pays où vivent des descendants d’immigrés européens (essentiellement anglais, allemands, français et italiens). J’ai déjà une idée précise de ce pays, mais j’ai décidé de ne divulguer des informations sur cet endroit qu’avec parcimonie. Au fil des romans, les gens apprendront à mieux comprendre la Nouvelle Mahogany.
Concernant la crise sanitaire, tu n’as pas eu envie d’écrire sur ce thème ? Ça se prête plutôt bien à de la science-fiction, non ?
Beaucoup l’ont fait, que ce soit dans la musique ou la littérature. La plupart du temps j’ai trouvé ça plutôt honteux. Ça me faisait penser à ces gens qui profitaient de l’épidémie pour nous refourguer des masques stylisés et des gadgets absurdes censés nous protéger. Cette période en dit long sur le degré d’humanité de certains d’entre nous.
Des projets pour 2021 ?
Je travaille sur un recueil d’une douzaine de nouvelles, puis je me lancerai sur un nouveau roman, quelque chose d’ambitieux… J’ai déjà pas mal d’idées à ce sujet.